samedi 7 mai 2016

Heaven

"Je crois plutôt que nous pleurions parce que nous n'avions aucun endroit à nous, et que nous n'avions pas d'autre choix que de vivre de cette façon, dans ce monde tel qu'il était. Nous pleurions contre la réalité qui faisait que c'était le seul monde où nous pouvions choisir de vivre. "



Auteur : Mieko Kawakami
Traducteur : Patrick Honnoré
Editeur : Actes Sud
Collection : Lettres japonaises
Genre : Contemporain
Date de parution : 6 avril 2016
234 pages
Prix : 21 €

4e de couverture

Deux opprimés, deux adolescents, l'un brimé pour un défaut physique, l'autre pour son apparence volontairement négligée, subissent la violence des élèves du collège.
De cette souffrance cachée aux adultes, de cette résistance partagée et plus intellectuelle que physique naît une amitié fondamentale mais discrète et pudique. Une amitié à travers laquelle se construit, le temps d'une année scolaire, l'essentiel du rapport au monde de ces deux jeunes gens, alors même que tout semble fermé tant la différence et le handicap en territoire d'enfance ne génèrent que danger et isolement.
Après Seins et Œufs et De toutes les nuits, les amants, l'ambition littéraire de Mieko Kawakami se confirme. Auteur de la prise de risques et de la maîtrise de son propre style, elle offre ici au lecteur un regard sur les concepts d'identité, de sujet et de bonheur qui bousculent et décapent la tradition intellectuelle occidentale.

Mon Avis

Dans ce récit à la première personne, on suit un collégien de 14 ans. On ne connaît pas son nom. Il est seulement nommé "Paris-Londres" ou "le Bigleux" par ses camarades de classe. En effet, le narrateur souffre d'un strabisme important, ce qui lui vaut d'être constamment harcelé par Ninomiya, Momose et leurs amis. Un jour, il trouve un mot dans sa boîte à stylos : "Toi et moi, nous sommes du même genre". Quelques jours plus tard, il en reçoit un autre. Cette fois-ci, c'était une date, une heure, un lieu de rendez-vous. Le narrateur pense à un piège de la part de Ninomiya et des autres, mais il décide de s'y rendre quand même : s'il ne va pas au rendez-vous, ils le lui feront payer. A sa grande surprise, il aperçoit Kojima, une fille de sa classe, qui est aussi victime de harcèlement à cause de son apparence négligée. Tous les deux vont par la suite s'échanger des lettres, se donner quelques rendez-vous, en toute discrétion. Ensemble, ils tentent de trouver des réponses à leur situation.



Le narrateur, dont la vie est profondément vide ("ma vie était aussi tranquille qu'un meuble", page 73), s'interroge sur sa situation et son avenir. Est-ce qu'il sera toujours confronté aux moqueries des autres à cause de son strabisme ? Au lycée ? Dans la vie active ? Pourra-t-il un jour trouver la sérénité, lui qui est constamment angoissé quand il n'est pas chez lui ? Kojima, elle, est différente du narrateur : réservée en classe, elle est pétillante en dehors du collège. C'est un personnage haut en couleurs, touchant et attachant, qui use d'un langage n'appartenant qu'à elle ("contentopamine", un mélange de "content" et de "dopamine" ; "boutibouts" ; "essorage cérébro-spinaker", etc.). Son histoire est émouvante, et on apprend au fil des pages la raison de son aspect négligé. Elle trouve des réponses aux agissements des autres. Elle recherche la normalité, elle veut échapper à l'angoisse. Cette belle amitié rompt leur isolement et ensemble, ils essaient de trouver un sens à leurs malheurs.

Kojima a une explication à tout ça : les autres ne comprennent pas. Ils ont pris l'habitude, et du coup ne réfléchissent pas à leurs actes. Ils ont peur de ce qu'ils ne connaissent pas. Mais Momose va révéler au narrateur que son point de vue est faux. La raison qu'il évoque est totalement stupide, mais elle ne manque pas de cruauté...

Dans "Heaven", certains passages relatant les humiliations subies par le narrateur et Kojima relèvent d'une violence stupéfiante. Par exemple, le narrateur est contraint par ses camarades d'avaler des craies ou son vomi, il se retrouve avec des agrafes plantées dans les mains ou encore, sa tête sert de ballon lors d'une partie de "football humain", qui s'est soldée par un nez presque cassé.

Cette humiliation va être celle de trop pour le narrateur. Il sombre dans un état dépressif, refuse de voir Kojima, pense au suicide et à ses conséquences. Comment les autres réagiraient-ils ? Est-ce que les moqueries et humiliations cesseront pour Kojima ? Ou au contraire s'amplifieront-elles ? L'avis de Momose sur un possible suicide du narrateur est brutal : tous ressentiraient de l'indifférence.

Mais alors qu'est-ce que "Heaven" ? La paradis après le suicide (en lisant le titre et la 4e de couverture, j'ai pensé spontanément que les deux protagonistes organiseraient leur propre suicide) ? Non, c'est le tableau préféré de Kojima, qu'elle a nommé elle-même "Heaven". Elle illustre sa définition au narrateur par un exemple, lorsqu'ils se trouvent au musée :

"— Ces fiancés-là, il leur est arrivé une chose terrible. Une chose très malheureuse, très. Mais ils s'en sont sortis. Et de ce fait, maintenant, tous les deux, ils vivent dans le bonheur le plus fort qui existe. Ils ont dépassé le malheur et là où ils sont arrivés maintenant, cette chambre où il n'y a rien de spécial, c'est aussi Heaven." (page 59)

"Heaven" pour Kojima, c'est la normalité, le bonheur après les terribles épreuves, la fin de l'angoisse permanente.



En conclusion, "Heaven" est un roman fort, puissant, d'une réalité cruelle et déconcertante. Une réflexion sur le harcèlement scolaire qui vaut le coup de s'y pencher. Une lecture qui m'a marqué l'esprit. Je l'ai finie il y a une semaine, et il m'arrive encore d'y penser. Dommage qu'il n'y ait aucune information sur le devenir de Kojima... C'est bien le seul reproche que je ferai à ce roman court et percutant.

Ma note : 18/20

A bientôt pour une nouvelle chronique ^^











Avez-vous lu "Heaven" ? Qu'en avez-vous pensé ?
Connaissez-vous d'autres livres sur le harcèlement scolaire ?

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