jeudi 4 août 2016

Les Evaporés : un roman japonais

"C'est tout le Japon moderne qui n'est qu'un reflet affaibli de l'ancien. Les gens disent que c'est propre à Kyoto, comme si c'était une sorte de sentiment illusoire et honteux, de l'orgueil ou de la nostalgie, alors que c'est une évidence qui est seulement plus visible ici.
Le passé est éternel, c'est le présent qui passe, c'est le présent qui fuit, qui s'efface."


Auteur : Thomas B. Reverdy
Editeur : J'ai Lu
Genre : Contemporain
Date de parution : 6 mai 2015
Nombre de pages : 317
Prix : 7,20 €



4e de couverture

Ici, lorsque quelqu'un disparaît, on dit simplement qu'il s'est évaporé. Personne ne cherche à le retrouver, pas de crime pour la police, honte et silence du côté de la famille. Sans un mot, Kaze un soir a disparu. Comment peut-on s'évaporer si facilement sans laisser de trace ? Et pour quelles raisons ?
C'est ce que cherche à comprendre Richard B., venu au Japon afin d'aider Yukiko à retrouver son père. Pour cette femme qu'il aime encore, il mène l'enquête dans les quartiers pauvres de Sanya à Tokyo. Ce roman profondément poétique allie découverte du Japon, encore bouleversé par la catastrophe de Fukushima, et réflexion sur notre désir, parfois, de prendre la fuite.

Mon Avis

Après avoir lu, apprécié et chroniqué des romans YA, jeunesse ou des romances, j'avais envie de me recentrer sur un thème qui m'est cher, le Japon. De plus, la visite de l'excellent blog Comaujapon m'a donné envie de me replonger dans la littérature japonaise au style si particulier. Finalement, je me suis tournée vers un roman français. Il m'a tout de suite attirée par sa couverture magnifique, japonisante à souhait, mais aussi par les sujets qu'il aborde : la fuite, l'après-Fukushima. J'ai pensé que c'était un excellent moyen de redécouvrir le Japon et sa culture si étrange pour nous, mais aussi de s'informer sur ces "évaporés" et sur le nouveau visage du Japon, meurtri par la catastrophe de Fukushima.

Au Japon, Kazehiro décide de quitter dans la nuit son domicile, abandonnant sa femme à son triste sort. Il choisit de disparaître. Le lendemain, sa femme appelle sa fille Yukiko, expatriée aux Etats-Unis, et lui implore son aide. Yukiko part pour le Japon retrouver son père avec l'aide de Richard, son ex-petit ami détective privé et poète à ses heures perdues.


Nous suivons plusieurs personnages dans ce roman : Yukiko et Richard d'un côté, Kaze de l'autre, sans oublier le jeune Akainu, 14 ans, qui s'est lui-même enfoui juste après la catastrophe de Fukushima.
Les personnages sont extrêmement bien travaillés, ils ont tous une profondeur et se révèlent attachants. Richard est encore fou amoureux de Yukiko et ne comprend rien à la langue ni à la culture japonaises ; Yukiko essaie de trouver sa place dans son pays natal qui la considère comme une étrangère ; Akainu, jeune garçon débrouillard, se retrouve en danger en étant témoin du meurtre de son patron ; Kaze essaie de se reconstruire une nouvelle vie, de repartir de zéro.
Plusieurs thèmes dans cette histoire : le Japon d'aujourd'hui, tout d'abord. Sa langue si riche et si complexe, sa culture si déroutante à nos yeux d'occidentaux, sa société si déconcertante.
Puis, il y a les "évaporés", les "johatsu" en japonais : ces personnes qui choisissent d'elles-mêmes de disparaître, de ne laisser aucune trace derrière eux, de tout effacer jusqu'à leur nom, leur travail, leur famille... Personne ne cherche à les retrouver, ni même la police. En effet, au Japon un adulte a légalement le droit de disparaître. Mais pourquoi Kaze a-t-il choisi de fuir ? Une autre femme ? Dépression ? Crise de la soixantaine ?
Troisième thème : le tsunami et la catastrophe nucléaire de Fukushima. L'intrigue se situe un an après cette période tragique et ce phénomène des "johatsu" a plus que jamais été d'actualité :

"Le tsunami avait brutalement jeté des milliers de personnes sur les routes. (...) Ceux qui avaient des dettes ou qui avaient sombré avec le traumatisme avaient rejoint Tokyo dans l'espoir de refaire leur vie. Certains, pour des raisons qui leur appartenaient, en avaient profité pour disparaître" (pages 72-73).

Autre thème : les Yakuzas (membres de la mafia japonaise), la corruption, leur main basse sur les petits commerces et la manière dont ils ont profité du tsunami et de la catastrophe nucléaire pour développer leurs trafics.


D'autre part, le style d'écriture des "Evaporés" est assez particulier, mais non moins remarquable. Les chapitres ont beau être courts, certaines phrases qu'ils renferment peuvent être très, très longues. Cependant, je ne me suis pas ennuyée du tout, bien au contraire, je me suis laissée bercer par les mots, à la manière d'une poésie.
Les chapitres "Un rêve à Kyoto" et "Un rêve à Fukushima" sont des chefs-d'oeuvre. Le narrateur prend ici le lecteur à partie :

"Vous êtes au bord de l'océan.
Autrefois il y avait une ville ici. Des gens. Une civilisation. Il n'en reste aucune trace." (début d'Un rêve à Fukushima, page 186).

En lisant ces deux chapitres, j'avais l'impression d'être à Kyoto, puis à Fukushima quelques instants après la catastrophe. La force des mots est telle qu'elle m'a fait voyager. C'est dire l'immensité du talent de l'auteur. Le plus fort en émotions, c'est certainement le chapitre "Un rêve à Fukushima", qui nous décrit un paysage apocalyptique, des images du passé, avec un soupçon de mythologie japonaise.


En conclusion, "Les Evaporés" est un roman magistral, oscillant entre quête d'identité, rêve, désir de disparaître, et poésie. Il peut être destiné à tous les amateurs du Japon ou à ceux qui s'y intéressent de près ou de loin. L'auteur nous dévoile ici un triste visage du Japon : des familles brisées, disloquées, des paysages apocalyptiques, des quartiers pauvres, le trafic des Yakuzas, la corruption, etc. Mais également, il met en lumière cette société japonaise si complexe, si paradoxale et si riche. La plume de l'auteur est poétique et en même temps, si poignante, si forte, qu'elle nous permet de nous immerger complètement au cœur de Kyoto ou de Fukushima. Un roman fort, inoubliable, qui nous pousse à réfléchir sur le Japon actuel.

Ma note : 19/20

A bientôt pour une nouvelle chronique ^^














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