jeudi 6 septembre 2018

"Comme un seul homme" de Daniel Magariel

Emprise paternelle

"Mon frère n'était toujours pas rentré à la maison. Je me faisais du souci pour lui. Je débordais d'une étrange espèce de tristesse. J'avais l'impression d'être rempli de vide."




Présentation de l'éditeur

Le combat fut âpre. Mais, ensemble, le narrateur, un garçon de douze ans, son frère aîné et leur père ont gagné la guerre – c’est ainsi que le père désigne la procédure de divorce et la lutte féroce pour la garde de ses fils. Ensemble, ils prennent la route, quittant le Kansas pour Albuquerque, et un nouveau départ. Unis, libres, conquérants, filant vers le Nouveau-Mexique, terre promise, ils dessinent les contours de leur vie à trois.
Les garçons vont à l’école, jouent dans l’équipe de basket, se font des amis, tandis que leur père vaque à ses affaires dans leur appartement de la banlieue d’Albuquerque.  Et fume, de plus en plus  – des cigares bon marché, pour couvrir d’autres odeurs. Bientôt, ce sont les nuits sans sommeil, les apparitions spectrales d’un père brumeux, les visites nocturnes de types louches. Les garçons observent la métamorphose de leur père, au comportement chaque jour plus erratique et violent. Livrés à eux-mêmes, ils n’ont d’autre choix que d’endosser de lourdes responsabilités   pour contrer la défection de leurs parents, et de faire front face à ce père autrefois adulé désormais méconnaissable, et terriblement dangereux.
Daniel Magariel livre un récit déchirant, éblouissant de justesse et de délicatesse sur deux frères unis dans la pire des adversités, brutalement arrachés à l’âge tendre. Deux frères qui doivent apprendre à survivre et à se construire auprès d’un père extraordinairement toxique, au milieu des décombres d’une famille brisée.


Mon Avis

L'image de la couverture a du sens. Deux silhouettes juvéniles surplombées par celle d'un homme imposant, ressemblant à un cow-boy avec son chapeau et sans doute une arme au niveau des hanches. Deux ombres fluettes, une silhouette écrasante ; deux fils et leur père. Nous ne saurons pas leurs noms. Cependant, les premières pages nous donnent le ton dès le départ puisque l'on assiste à une scène de violence entre le narrateur âgé d'une douzaine d'années et sa mère. Suite à cet épisode qui est sans doute habituel, l'adolescent décide de tout faire pour aller vivre chez son père... Avec ce dernier, il élabore un plan machiavélique. Il fait croire aux services sociaux que sa mère le frappe, photos à l'appui. Pour ce faire, il se donne lui-même des coups au visage. C'est l'occasion inespérée pour le père d'avoir la garde exclusive de ses deux garçons, de remporter "la guerre" contre son ex-femme :

"- Ça, ça va mettre fin à la guerre, a-t-il dit. Pas de garde des enfants. Pas de pension alimentaire. Grâce à ça, on va être libres. Libres de recommencer nos vies. Vous verrez. Au Nouveau-Mexique, je vais redevenir un gamin. On reviendra tous les trois des gamins." (page 15)


Même si on émet de sérieux doutes quant à la stabilité de la mère, nous nous apercevons rapidement que le père est un personnage néfaste. Il décide sur un coup de tête de quitter le Kansas pour s'installer à Albuquerque, loin de la mère des garçons. Coupés de leurs racines et de leur mère, les deux frères sont confrontés à un père violent, manipulateur et irresponsable. Il donne volontiers le volant à son fils aîné qui n'a pas le permis, il emmène ses fils dans les bars, il n'hésite pas à se montrer extrêmement violent avec eux s'ils ne lui obéissent pas. Puis, face à ce père qui s'enfonce dans la drogue, les deux frères n'ont pas le choix que de tout gérer pour survivre. 

"Mon frère n'allait pas en cours, obligé de rester à la maison pour s'occuper du classement des papiers, payer les factures, contacter des clients potentiels." (page 48)

Ce père est une figure écrasante qui n'hésite pas à manipuler ses enfants, quitte à les monter l'un contre l'autre pour arriver à ses fins. 

"- On est déjà au courant, papa, l'a interrompu mon frère.
- Au courant de quoi ?
- Que tu te drogues." (page 45)

Le lien qui unit les deux frères devient de plus en plus fort. Cette force fraternelle est bel et bien le seul sentiment positif dans ce roman noir. Malmenée par le père, cette amitié est leur seule chance de s'en sortir. D'ailleurs, étonnamment, c'est le père qui l'affirme :

"Les garçons, vous êtes si proches en âge que chacun doit pouvoir compter sur son frère. Quoi qu'il arrive, chacun doit protéger l'autre. Vous comprenez, hein ? Vous ne comprenez pas ? Ne me regardez pas comme ça. Pourquoi vous me regardez comme ça ? Regarde ton frère. 
Regarde ton frère, bon sang. 
On s'est tournés l'un vers l'autre.
- C'est ton frère pour la vie. Tu es sa dernière ligne de défense." (page 62)

Plus on avance dans l'histoire, et plus le regard du narrateur change sur sa mère. Son image est de plus en plus positive, elle devient même un refuge, un souvenir rassurant. Il réalise peu à peu l'emprise du père sur eux et comment cette manipulation l'a rendu aveugle. 

Ce premier roman met en lumière le passage violent de l'enfance à l'âge adulte, met à mal l'image de ce père exécrable, et fait la part belle au lien fort de ces deux frères qui font tout pour s'en sortir. Nous distinguons bien ici l'évolution des relations père-fils : les fils sont livrés à eux-mêmes et sont donc "obligés" de se prendre en charge seuls, de devenir adultes plus rapidement que prévu ; et le père est infantilisé ("(...) moi en train de bercer notre père" ; "On avait mis notre père au lit", page 110). On passe de l'image illusoire d'un père fort à une image désastreuse.
Mais alors comment échapper à la tyrannie d'un père ? Comment s'extirper de son emprise?

"J'ai grimacé en revoyant le bout rouge à vif à l'arrière du crâne de ma mère. Je n'arrivais pas à comprendre comment on avait fomenter ce guet-apens. Comment est-ce qu'on avait eu l'idée ? La réponse était évidente : on avait toujours été loyaux vis-à-vis de mon père. C'était lui le plus fort. On le craignait. Il avait besoin de nous. Son approbation lui avait toujours bien plus compté que celle de notrere - ça me donnait un sentiment de puissance." (page 73)

En bref, Comme un seul homme est un premier roman noir réussi, court et percutant sur l'affrontement de deux frères face à un père violent, manipulateur et dévastateur. Nous sommes bouleversés face à ces deux garçons qui adoraient leur père, et qui brutalement, sont livrés à eux-mêmes face à ce père qu'il ne reconnaissent pas. On perçoit aisément le lien indéfectible entre les deux frères. Mais suffira-t-il à les arracher de l'emprise de leur père ? A vous de le découvrir. 
Daniel Magariel est assurément un auteur à suivre.

Un grand merci aux éditions Fayard !



Comme un seul homme (One of the Boys), Daniel Magariel, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, Fayard, collection littérature étrangère, 22 août 2018, 192 pages, 19 €, format Kindle : 13,99 €.

Bonus : la critique du New York Times





A bientôt ^^




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