mercredi 22 février 2017

Aveu de faiblesses

"On est partis tous les trois dans une vraie voiture de police bleue avec marqué "Police" sur les portières et le capot. (...) J'ai pensé à ma mère qui allait s'inquiéter. J'ai eu envie de pleurer en pensant à la tristesse qu'elle allait éprouver pour son fils (...)".


Auteur : Frédéric Viguier
Editeur : Albin Michel
Genre : Contemporain
Date de parution : 4 janvier 2017
Nombre de pages : 216
Prix : 18 €
Prix format Kindle : 12,99 €

Rentrée littéraire Hiver 2017


Présentation de l'éditeur :

 « Je suis laid, depuis le début. On me dit que je ressemble à ma mère, qu’on a le même nez. Mais ma mère, je la trouve belle. »

Ressources inhumaines, critique implacable de notre société, a imposé le ton froid et cruel de Frédéric Viguier dont le premier roman se faisait l’écho d’une « humanité déshumanisée ». On retrouve son univers glaçant et sombre, qui emprunte tout à la fois au cinéma radical de Bruno Dumont et au roman social. Mais au drame d’un bourg désindustrialisé du nord de la France, Frédéric Viguier ajoute le suspense d’un roman noir. Dès lors, l’histoire d’Yvan, un adolescent moqué pour sa laideur et sa différence, accusé du meurtre de son petit voisin, prend une tournure inattendue.

Mon Avis

Si j'ai choisi de sélectionner Aveu de faiblesses lors de la Masse Critique de Babelio, c'est parce que j'ai aperçu dans le résumé les mots "roman noir", "univers glaçant et sombre", "meurtre". Ils m'ont interpellée car c'est typiquement le genre de romans que je lis en ce moment. Maintenant que je l'ai lu, je ne peux pas le dire autrement : ce livre est glaçant, déroutant. Il nous met en colère, plusieurs fois. Et surtout, il a le don de nous mettre des claques. Un livre court, certes, mais inoubliable.
Je remercie Babelio et les éditions Albin Michel pour cette découverte détonante.

Nord de la France, début des années 2000. Le narrateur, Yvan, est un jeune homme de 17 ans et il n'est pas gâté par la nature : opulent, laid et peu bavard, il préfère rester chez lui, avec ses parents, plutôt que de sortir comme les jeunes de son âge. Il est régulièrement moqué par ses camarades. Attaché à sa mère, ses principales préoccupations consistent à l'aider à compléter sa collection d'étiquettes de boîtes de fromage et de l'admirer en train de sculpter des animaux dans du beurre. Alors qu'il rentre chez lui à pieds, il est surpris de ne pas croiser un camarade de classe et son frère, qui ont l'habitude de l'insulter et de lui jeter des pierres. Le lendemain, Yvan est interrogé par la police. Il est accusé du meurtre du petit frère de son camarade. S'en suit une véritable descente aux Enfers pour Yvan : insulté, humilié par les enquêteurs, il en vient à avouer un crime qu'il n'a pas commis. A cause de sa faiblesse. Mais les choses tournent d'une manière inattendue pour lui...

Ce livre a le don de nous révolter. On s'attache à Yvan, ado un peu niais, immature, incompris, insulté et humilié, lui qui est si attaché à ses parents et qui ne pense qu'à une chose : retourner chez lui, auprès de sa mère. La police se montre ici impitoyable, cruelle envers le narrateur, elle n'hésite pas à bâcler l'enquête, cherchant absolument des aveux et donc, un coupable. La justice n'est pas en reste : l'avocat d'Yvan ne croit pas en son innocence, et n'essaie même pas de le défendre ; le juge suit aveuglément les conclusions de l'enquête policière. La violence fulgurante provoquée à la fois par la police, la justice et l'univers carcéral nous éclate à la figure et nous indigne. Yvan est seul contre tous. Même ses parents semblent vouloir s'éloigner de lui.

"Le soutien que j'espérais, ce juge à qui j'aurais pu parler comme à un ami, à un ami que je n'ai jamais eu ; celui que l'inspecteur Morlat m'avait présenté comme l'ultime étape avant ma sortie, et mon retour à la vie normale, n'existe pas. Grochard et le juge sont une seule et même personne, un monstre à deux têtes. (...) Je m'attends à tant de reproches, je me prépare à tant de haine, que c'est peut-être ce qui me fait transpirer, dans ce bureau surchauffé où, un par un, les mots vont résonner comme des jugements, renvoyés comme des gifles par les épaisses moquettes rouges qui tapissent les murs." (pp.110-111).
"Mon père n'avait jamais eu ce regard. Un regard qui me reprochait d'être là, un regard qui me reprochait peut-être d'exister." (p.156). 
 
Le style de l'auteur est brillant. On suit les pensées d'Yvan, avec l'abondance de l'emploi du "Je", des phrases simples, longues et souvent percutantes. Au fil des pages, le style change très rapidement, mûrit comme Yvan, et se fait plus subtil et plus glaçant. Le talent de Frédéric Viguier s'exprime pleinement ici, dans le style, mais aussi dans l'intrigue, sombre, cruelle et cinglante comme une claque.

Attendez-vous en effet à recevoir non pas une claque, mais plusieurs. Ce roman nous réserve des émotions par saccades : de la colère, de la peine, de l'interrogation, de l'effroi, de la stupéfaction. Ce livre m'a fait passer par tous ces sentiments ambigus avec habileté et avec un suspense hautement maîtrisé. Il est magistral.

Pour conclure, Aveu de faiblesses est un roman captivant, aux allures de roman noir, de policier et de roman rural. Il nous indigne, nous pétrifie, nous attriste, nous bouleverse, nous fait douter et finalement, nous restons abasourdis sans qu'on ne le sente venir. Un style brillant ; des critiques acerbes sur la justice et la police, mais aussi sur le monde rural et l'éducation ; et un personnage principal bien campé : tout ceci fait véritablement la force de ce roman. Sans oublier cette fin mémorable. Du grand art. 



Bonus : une interview de Frédéric Viguier, pour le magazine Lecthot :




A bientôt pour une prochaine chronique ^^



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