vendredi 3 février 2017

Une Famille explosive

"Ce jour-là, sa décision prise, papa a ressenti pour la première fois le poids de son fardeau : devoir régler tous les problèmes. C'est aussi la première fois qu'il a eu l'impression d'appartenir à une famille totalement dysfonctionnelle, une famille qui méritait à peine
le titre de famille."


Auteur : Yan Ge
Traducteur : Alexis Brossollet
Editeur : Presses de la Cité
Genre : Contemporain
Date de parution : 19 janvier 2017
Nombre de pages : 320
Prix : 20 €
Prix Kindle : 13,99 €


Présentation de l'éditeur

Papa n'a jamais quitté Pingle, petite bourgade du Sichuan, en Chine. Contraint et forcé par grand-mère, il s'est marié et a repris les rênes de l'entreprise familiale qui fabrique la fameuse pâte au piment. Il faut dire que la matriarche en impose à tous et tient son petit monde d'une main de fer ! Mais papa est loin d'être obéissant. Accro au sexe, il a installé sa maîtresse au-dessus de l'appartement de grand-mère. Le voilà bien embêté lorsque cette dernière découvre le pot aux roses !
Les ennuis continuent quand l'aïeule décide de réunir les siens pour fêter ses quatre-vingts ans. L'occasion pour ses trois enfants de régler leurs comptes avec la tradition, l'autorité et de laver leur linge sale en famille... La tension monte, les révélations éclatent, et celle de la maîtresse de papa met le feu aux poudres : elle est enceinte !

Mon Avis

Voilà une couverture de couleur vive qui fait du bien en ce temps gris et fade de février ! Le résumé nous annonce un récit plutôt humoristique empreint d'ironie et de dérision, dans une Chine contrastée, entre tradition et modernité. Je remercie chaleureusement les éditions Presses de la Cité pour cette lecture pleine de surprises.

Tout commence par un coup de fil. Shengqiang, père de famille, la cinquantaine, dirigeant d'une entreprise familiale de pâte au piment, abandonne ses employés pour répondre à sa mère. A chaque fois, il perd tous ses moyens. Il ne faut surtout pas la faire patienter... Quelques mots lui suffisent pour se précipiter chez elle : elle veut lui parler de toute urgence. Après s'être fait réprimander par sa mère sur ses intentions de divorce, il ne se rend pas directement chez lui ou à son bureau. Non, il préfère descendre à l'étage en-dessous, là où il loge sa maîtresse. Alors que la grande fête pour l'anniversaire des quatre-vingts ans de la grand-mère approche, celle-ci apprend bientôt la supercherie et ordonne à son fils cadet de faire déménager sa maîtresse promptement. Alors lorsque le frère et la sœur aînés de Shengqiang s'en mêlent, les vieilles rivalités resurgissent et les règlements de compte au sein de cette famille déjantée éclatent.

Vous l'aurez compris, l'un des points forts de ce roman chinois est le ton humoristique qu'il emploie. A travers des récits entendus par sa fille, on suit les péripéties de Shengqiang, père de famille, macho, infidèle, misogyne, qui préfère passer du temps avec ses copains de beuverie qu'avec sa femme et sa fille. A la tête de l'entreprise familiale, on pourrait penser au premier abord qu'il a un statut de privilégié au sein de la fratrie, mais en réalité il est sans cesse réprimandé par sa mère :

"Papa s'est concentré sur la fin de son repas, tout en écoutant d'une oreille grand-mère pleurer et jurer. Elle a insulté grand-père, a insulté tonton, a insulté tantine, et même lui y a eu droit. Mais ça ne lui faisait ni chaud ni froid, il était habitué. A force de prendre des raclées depuis sa plus tendre enfance, il avait la peau des fesses dure comme la roche, ce n'était pas deux ou trois jurons qui allaient l'effrayer." (pp.114-115).

La rivalité entre Shengqiang et son frère aîné est désopilante. J'ai adoré ces passages dans lesquels ce premier se retient de dire ce qu'il pense à son aîné :

— M'man va bientôt fêter son quatre-vingtième anniversaire, je me suis dit qu'il valait mieux qu'on s'en occupe sérieusement, dit tonton. Quand tu auras un peu de temps, passe donc à la maison qu'on en discute.   
"T'en occuper, des queues, oui ! A t'entendre, on dirait que tu t'es toujours occupé de tout. Duan Zhiming, bâtard de merde, giron de mes fesses, honte à toi aujourd'hui comme autrefois", pense papa, et ce n'est que le début.  
— D'accord, répond-il." (page 62).

La fille de Shengqiang, qui est aussi la narratrice, n'hésite pas à raconter fréquemment ce qu'elle sait sur l'enfance de son père, sur son parcours, sur ses liens avec son frère et sa sœur. Elle se permet également de commenter les actes de son père, mais de manière plus rare :

"Ah papa, mon papa, ton corps est présent mais ton cœur est ailleurs. Tes yeux ne voient personne d'autre que ta Xinyu" (p. 144).



Le langage est totalement décomplexé, irrévérencieux même, sans toutefois tomber dans l'excès de vulgarité. Mon regard sur la Chine actuelle a changé, elle me semble beaucoup moins austère que je ne le pensais. Cependant, il y a toujours ce poids des traditions, comme le respect des aînés, les coutumes, mais aussi des thèmes plus modernes comme le sujet délicat du divorce. A travers cette famille, cette dualité entre tradition et modernité est très bien dessinée.

Enfin, le style de Yan Ge, jeune auteure chinoise vivant à Dublin, adopte un ton résolument moderne. Elle dépeint avec ironie et dérision une famille chinoise surprenante, totalement loufoque, qui doit faire face à des situations hilarantes.

Pour conclure, Une Famille explosive est un roman désopilant à souhait, à la lecture addictive. On savoure page par page les péripéties de ce père de famille tour à tour ridiculisé, insulté par sa mère, rabaissé par son frère, dans un ton résolument moderne et humoristique. Avec ironie et dérision, l'auteure dresse le portrait d'une famille chinoise totalement déjantée, entre tradition et modernité. Une agréable surprise et une très belle découverte.



A bientôt pour une prochaine chronique ^^



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