dimanche 7 janvier 2018

Premières lignes #21 : "Une Vie comme les autres" de Hanya Yanagihara

Ce rendez-vous hebdomadaire a été créé par Ma Lecturothèque.

Le principe est simple : il s’agit de présenter chaque semaine l’incipit d’un roman.

Ce rendez-vous est très intéressant car il nous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.

On choisit le livre que l'on veut : un coup de cœur, une lecture actuelle, un livre de sa PAL, un emprunt à la bibliothèque...


Ce dimanche, je vous partage les premières lignes d'un roman sorti cette semaine chez Buchet-Chastel, Une Vie comme les autres de l'auteure américaine Hanya Yanagihara, lequel est annoncé comme l'un des événements de cette rentrée littéraire d'hiver. C'est son premier roman publié en français. Il a été traduit dans 23 pays et a déjà conquis plus d'un million de lecteurs à travers le monde. Primé et sélectionné dans de nombreux prix prestigieux, il n'a pas fini de faire parler de lui. Ma chronique sur ce roman très dense sera publiée cette semaine sur le blog. 


Épopée romanesque d’une incroyable intensité, chronique poignante de l’amitié masculine contemporaine, Une vie comme les autres interroge de manière saisissante nos dispositions à l’empathie et l’endurance de chacun à la souffrance, la sienne propre comme celle d’autrui.
On y suit sur quelques dizaines d'années quatre amis de fac venus conquérir New York. Willem, l’acteur à la beauté ravageuse et ami indéfectible, JB, l’artiste peintre aussi ambitieux et talentueux qu’il peut être cruel, Malcolm, l’architecte qui attend son heure dans un prestigieux cabinet new-yorkais, et surtout Jude, le plus mystérieux d’entre eux. Au fil des années, il s’affirme comme le soleil noir de leur quatuor, celui autour duquel les relations s’approfondissent et se compliquent, cependant que leurs vies professionnelles et sociales prennent de l’ampleur.
Révélant ici son immense talent de styliste Hanya Yanagihara redonne, avec ce texte, un souffle inattendu au grand roman épique américain.


Partie I

Lispenard Street


I



Le onzième appartement qu'ils visitèrent ne possédait qu'un seul placard, mais disposait d'une baie vitrée coulissante donnant sur un petit balcon d'où l'on pouvait apercevoir, assis en face, un homme vêtu d'un simple tee-shirt et d'un short (bien qu'on fût en octobre) en train de fumer. Willem lui fit un signe de la main, mais l'homme ne répondit pas.
     Dans la chambre à coucher, Jude actionnait la porte du placard, l'ouvrant et la fermant, lorsque Willem entra.
    Il n’y a qu’un seul placard, dit-il.
    Ça n’a pas d’importance, répondit Willem. Je n’ai rien à y mettre de toute façon.
    Moi non plus.
Ils échangèrent un sourire. L’agent immobilier les suivait.
    On le prend, déclara Jude.
Mais de retour à l’agence, on leur annonça qu’ils ne pouvaient finalement pas louer l’appartement.
    Et pourquoi pas ? demanda Jude.
    Vous ne gagnez pas assez d’argent pour couvrir six mois de loyer et vous n’avez aucune épargne, rétorqua l’agent, soudainement abrupte.
Elle avait vérifié leurs comptes et historiques bancaires et avait somme toute décidé que quelque chose clochait : deux hommes dans leur vingtaine qui ne formaient pas un couple et essayaient de louer un deux-pièces dans une section sans intérêt (mais néanmoins chère) de la Vingt-Cinquième Rue.
    Vous avez quelqu’un qui pourrait vous servir de caution ? Un patron ? Des parents ?
    Nos parents sont morts, répondit brusquement Willem.
L’agent soupira.
    Alors je vous suggère de viser moins haut. Vous ne trouverez aucun agent en charge d’un immeuble de bonne tenue qui acceptera de louer à qui que ce soit avec votre profil financier.
Puis elle se leva d’un air déterminé et regarda ostensiblement la porte.
Mais quand ils racontèrent la scène à JB et à Malcolm, ils la transformèrent en farce : l’appartement se retrouva parsemé de crottes de souris, l’homme en face s’était quasiment dénudé, l’agent était furieuse parce qu’elle avait flirté avec Willem et que ce dernier n’avait pas répondu à ses avances.
    Qui voudrait habiter sur la Vingt-Cinquième Rue et la Deuxième Avenue, de toute façon ? demanda JB.
Ils étaient à Pho Viet Huong dans Chinatown, où ils se retrouvaient deux fois par mois pour dîner. Pho Viet Huong n’était pas un très bon restaurant – le phô était bizarrement sucré, le citron vert avait un goût de savon, et l’un d’entre eux tombait régulièrement malade après y avoir mangé -, mais ils continuaient à y aller, à la fois par habitude et par manque d’argent. On pouvait y commander une assiette de soupe ou un sandwich pour cinq dollars, ou bien un plat beaucoup plus copieux pour huit ou dix dollars, si bien qu’il était possible d’en garder la moitié pour le lendemain, ou pour un encas plus tard le soir. Seul Malcolm ne mangeait jamais tout son plat ni n’emportait ce qui restait. Quand il avait fini, il plaçait son assiette au centre de la table pour que Willem et JB – qui avaient toujours faim – puissent finir son plat.


Une Vie comme les autres (A Little Life), Hanya Yanagihara, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle Ertel, Buchet-Chastel, janvier 2018, 816 pages, 24 €, format numérique : 16,99 €.

A demain ^^


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