jeudi 10 mai 2018

"Soeurs" de Bernard Minier

"Un cauchemar écrit à l'encre noire"

"Le cauchemar - qui devait durer vingt-cinq ans - commença donc sous la forme de deux jeunes filles en robe blanche."



Présentation de l'éditeur


Pauvres âmes déchues.
Il a fallu que je vous tue...

Mai 1993. Deux sœurs, Alice, 20 ans, et Ambre, 21 ans, sont retrouvées mortes en bordure de Garonne. Vêtues de robes de communiantes, elles se font face, attachées à deux troncs d'arbres.
Le jeune Martin Servaz, qui vient d'intégrer la PJ de Toulouse, participe à sa première enquête. Très vite, il s'intéresse à Erik Lang, célèbre auteur de romans policiers à l'œuvre aussi cruelle que dérangeante.
Les deux sœurs n'étaient-elles pas ses fans ? L'un de ses plus grands succès ne s'appelle-t-il pas La Communiante ?... L'affaire connaît un dénouement inattendu et violent, laissant Servaz rongé par le doute : dans cette enquête, estime-t-il, une pièce manque, une pièce essentielle.
Février 2018. Par une nuit glaciale, l'écrivain Erik Lang découvre sa femme assassinée... elle aussi vêtue en communiante. Vingt-cinq ans après le double crime, Martin Servaz est rattrapé par l'affaire. Le choc réveille ses premières craintes. Jusqu'à l'obsession.
Une épouse, deux sœurs, trois communiantes... et si l'enquête de 1993 s'était trompée de coupable ?
Pour Servaz, le passé, en resurgissant, va se transformer en cauchemar. Un cauchemar écrit à l'encre noire.
Peur, soumission, mensonges, manipulation
Le nouveau thriller de Bernard Minier.


Mon Avis


C'était lors de mes vacances d'été de 2016 que j'ai découvert l'univers de Bernard Minier, avec son one-shot incroyable, Une Putain d'histoire, une véritable claque. J'ai ensuite découvert le personnage de Martin Servaz avec Glacé, que j'avais beaucoup aimé. Il y a chez l'auteur une précision dans l'écriture, une ambiance sombre et malfaisante qui nous prend à la gorge. Nuit, le quatrième livre de la saga "Martin Servaz" a confirmé mon coup de cœur pour la plume de Bernard Minier. C'était un quatrième volet exaltant, une épopée époustouflante, des rebondissements, une fin stupéfiante... Et c'était avec un grand plaisir que j'ai lu le cinquième tome, Sœurs, sorti le mois dernier (en plus, il était dédicacé et bien sûr, j'ai été profondément émue de cette petite attention).

Mai 1993. Martin Servaz a 24 ans et vient d'intégrer la PJ de Toulouse. Il fait partie de l'équipe de l'impressionnant Léo Kowalski, une brute au "tempérament tyrannique". Ils sont appelés sur les lieux où ont été commis deux meurtres. C'est la toute première enquête de Martin :

"L'instant d'après, il avait son visage du faune barbu presque collé à celui de Martin, et ce dernier respira son haleine parfumée à la cigarette
et au café dégueulasse du distributeur. 
— C'est ton premier vrai coup, puceau. Alors, écoute, observe et apprends." (page 43)


Deux sœurs, Alice, 20 ans et Ambre, 21 ans, sont retrouvées mortes attachées à deux troncs d'arbres. Elles se font face, vêtues de robes de communiantes.
Martin est saisi par la violence dont les deux jeunes étudiantes ont été victimes. Plongé au cœur de l'horreur, le jeune Martin prend conscience de son engagement définitif dans un quotidien sombre et extrêmement difficile.

"Servaz entendit son cœur cogner dans sa poitrine. Il ne cessait de penser aux jeunes filles. Au visage écrasé de l'une, et à celui intact de l'autre. A cette croix qui manquait. Instinctivement, comme un mulot devine la présence d'un danger, il comprit qu'ils s'engageaient dans les ténèbres - et que c'était pour longtemps." (page 57)


L'enquête avance rapidement et Erik Lang, un célèbre auteur de romans policiers particulièrement sordides et dérangeants. On apprend vite que les jeunes filles étaient ses fans et qu'une correspondance étrange et ambiguë s'était installée entre eux. Et l'un de ses plus grands succès s'appelle La Communiante... Les soupçons pèsent alors sur l'écrivain, mais Martin doute. Quelque chose cloche dans cette affaire. Par des circonstances dramatiques, l'affaire est close. Cette première enquête se clôt avec un Martin désabusé : sa carrière ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices, son couple bat de l'aile, il ne cesse de penser au suicide de son père, qu'il n'a pas pu sauver...

"Il songea que deux mondes coexistaient sans se mêler, comme l'huile et l'eau : celui de la vie, de l'insouciance, de la jeunesse et de l'espoir ; et celui de la maladie, de la souffrance, du déclin et de la mort. Tout un chacun, tôt ou tard, était amené à connaître les deux, mais certaines professions - infirmières, pompiers, pompes funèbres, flics... - passaient chaque jour de l'un à l'autre. Soudain, il se demanda comment il serait dans vingt ans, dans trente ans, s'il continuait d'exercer ce métier."
(page 118)


Février 2018. Erik Lang découvre le corps de sa femme, vêtu d'une robe de communiante. L'affaire de 1993 est réouverte. Pour Martin Servaz, désormais responsable de ce dossier, il faut tout reprendre de zéro et réveiller les doutes qui l'ont assailli il y a vingt-cinq ans. Nous retrouvons Martin quelques années après le dénouement de Nuit. Il a 49 ans et il est abîmé par la vie. Nous apprenons beaucoup sur ce personnage, il nous surprend toujours autant. Son esprit aiguisé et sa déduction sont toujours aussi efficaces. Cependant, Martin nourrira une obsession pour cette enquête et il devra se confronter à son passé... et s'en libérer.

Dans Sœurs, Bernard Minier s'intéresse à l'écriture, à la relation auteur-lecteur,
au pouvoir de l'écriture sur l'écrivain. L'auteur a même usé d'une mise en abyme astucieuse...
Il est intéressant de constater l'évolution de la relation auteurs-lecteurs de 1993 à 2018. En 1993, l'écrivain reste assez inaccessible. Le seul "dialogue" possible restait l'échange écrit. Aujourd'hui, l'écrivain est accessible. Il y a les salons, les conférences, les médias, les réseaux sociaux. Par exemple, sur Twitter, il peut y avoir beaucoup d'interactions avec certains auteurs. Le dialogue peut avoir lieu aisément et instantanément.

Il y a également une réflexion intéressante sur la création littéraire. "Il aurait parié que Lang écrivait nuitamment, dans la solitude et le silence. Un oiseau de nuit... qui couchait ses propres démons sur le papier. Où ses fantasmes prenaient-ils leur source ? Le type qui avait créé cet univers rocambolesque n'appartenait pas à la même espèce que lui - il était d'une autre race. Celle des fous, des poètes... et des meurtriers ?" (page 314). Les  questions de l'inspiration, de la frontière entre fiction, fantasmes et réalité sont posées. 

"— A votre avis, est-ce que j'ai tout inventé ou est-ce que cette histoire est vraie, capitaine ? Vous voyez : c'est ça, l'art du conteur. (...) Les romanciers sont des menteurs, capitaine, ils enjolivent, ils extrapolent, ils finissent par prendre leurs mensonges pour la réalité." (pp. 392-393).


Après la nuit, c'est la forêt qui est mise en avant dans ce nouveau tome. "Immense, énorme, la forêt s'étendait devant elles..." Un lieu plein de symboles. Un endroit cloisonné, sombre, dense, mêlé à la nuit. 


"La forêt comme métaphore de l'inconscient, du caché, la forêt initiatique mais aussi maléfique - comme dans les contes et les légendes où elle était le repaire de créatures mystérieuses : fées, elfes, farfadets, faunes, satyres et dryades." (page 292)

La forêt renvoie au danger et à l'imaginaire, à cette "forêt de mots" de l'écrivain. 

J'ai retrouvé avec plaisir ce clin d'œil à Une Putain d'histoire, mais aussi de multiples références littéraires : Poe, Conan Doyle, Gaston Leroux, Simenon, Tolstoï, Faulkner, Balzac, et même Jonathan Franzen. Enfin, Bernard Minier nous donne des informations intéressantes sur la PNIJ (la plate-forme nationale des interceptions judiciaires, "l'interface pour les écoutes et les réquisitions aux opérateurs.") et ses dysfonctionnements. Nous sommes véritablement ancrés dans la réalité de la police actuelle. Et les allusions au réchauffement climatique et à Trump, "le crétin installé à la Maison-Blanche", s'inscrivent à leur tour dans l'actualité. 

Enfin, la question peut se poser : est-il utile de lire d'abord Glacé, Le Cercle, N'éteins pas la lumière et Nuit pour commencer Sœurs ? Pour ma part, j'ai lu seulement Glacé et Nuit. Se passer de Glacé me semble difficile pour lire Soeurs. En effet, ce premier tome parle de l'histoire tragique des parents de Martin, un élément maître dans ce nouveau volet. De même, un personnage important qui apparaît pour la première fois dans Nuit revient de manière permanente dans Sœurs. Donc, il me semble essentiel d'avoir lu d'abord Glacé et Nuit (ils sont tous parus en poche) avant de lire Sœurs. Idéalement bien sûr, il faudrait tous les lire avant ! Dernier point : je pense qu'il m'a manqué un élément à la lecture de Soeurs. Je ne sais pas ce qui a décidé Martin à intégrer la police après la mort de son père. Ce point est abordé dans Le Cercle, qui m'attend dans ma bibliothèque. Cependant, cela n'a pas gêné ma lecture. 

En bref, Sœurs est une fois de plus un thriller remarquable, à l'intrigue bien ficelée, au suspense hautement maîtrisé. Ce cinquième tome de la saga Martin Servaz marque un véritable tournant dans la psychologie de ce personnage taciturne. C'est un excellent thriller en deux époques, qui nous apprend beaucoup sur les débuts de Martin comme policier. Sœurs est également un roman riche de références culturelles et de symboles (sur la nuit et la forêt). Il offre une brillante réflexion sur la création littéraire, sur la relations auteurs-lecteurs. Il nous éclaire aussi sur l'évolution de cette relation. Sœurs est incontestablement une réussite, dans la lignée des précédents.

Un grand merci aux éditions XO et à Bernard Minier pour la dédicace.



Sœurs, Bernard Minier, XO Editions, avril 2018, 480 pages, 21,80 €, format Kindle : 13,99€.

Bonus n°1 : le trailer officiel des éditions XO



Bonus n°2 : La vidéo de la librairie Mollat




A bientôt ^^


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