mercredi 16 août 2017

"La Tresse" de Laëtitia Colombani

Trois destins de femmes entremêlés




Présentation de l'éditeur

Trois femmes, trois vies, trois continents. Une même soif de liberté.Inde. Smita est une Intouchable. Elle rêve de voir sa fille échapper à sa condition misérable et entrer à l’école.Sicile. Giulia travaille dans l’atelier de son père. Lorsqu’il est victime d’un accident, elle découvre que l’entreprise familiale est ruinée.Canada. Sarah, avocate réputée, va être promue à la tête de son cabinet quand elle apprend qu’elle est gravement malade.

Liées sans le savoir par ce qu’elles ont de plus intime et de plus singulier, Smita, Giulia et Sarah refusent le sort qui leur est destiné et décident de se battre. Vibrantes d’humanité, leurs histoires tissent une tresse d’espoir et de solidarité.


Mon Avis


"J'aime ces heures solitaires, ces heures où mes mains dansent. C'est un étrange ballet que celui de mes doigts. Ils écrivent une histoire de tresse et d'entrelacs. Cette histoire est mienne.
Pourtant elle ne m'appartient pas."
Ainsi se termine le prologue du roman de la réalisatrice, actrice et scénariste française Laëtitia Colombani. Il s'agit de l'histoire de trois femmes issues de trois continents différents. Elles ne se connaissent pas. Leurs modes de vie ne sont évidemment pas les mêmes. Smita vit en Inde et elle est considérée comme un rebut de la société. Guilia, Sicilienne, est ouvrière dans l'atelier que dirige son père. Sarah, de Montréal, est associée dans un prestigieux cabinet d'avocats. Pourtant, un point commun les unit. Cet élément, nous le saurons qu'à la fin du récit.

"Mais ce matin n'est pas un jour comme les autres. Smita a pris une décision (...) :
sa fille ira à l'école."

Smita est une Dalit, une Intouchable. "Hors caste, hors système, hors tout". Elle n'est jamais allée à l'école. Son fardeau quotidien, sa punition, c'est de "ramasser la merde des autres à mains nues, toute la journée." Sa mère l'avait emmenée avec elle à l'âge de six ans pour qu'elle prenne la relève. Mais Smita refuse que sa fille Lalita connaisse à son tour ce misérable destin. Elle l'a décidé, Lalita ira à l'école.

La famille de Guilia vit depuis près d'un siècle de la "cascatura", une coutume sicilienne ancestrale qui consiste à conserver les cheveux pour en faire des postiches ou des perruques. Elle travaille comme ouvrière dans l'atelier Lanfredi, que dirige son père. Jusqu'au jour où ce dernier, victime d'un accident de scooter, se trouve entre la vie et la mort. Giulia se retrouve donc à la tête de l'entreprise et découvre plus tard les difficultés financières terribles que cachaient son père. Elle doit absolument trouver une solution pour sauver l'entreprise familiale et la dizaine d'ouvrières qu'elle emploie.

"Elle avait caché ses larmes sous une épaisse couche de fond de teint, avant d'aller travailler. Elle se sentait déchirée, écartelée, mais ne pouvait se confier à personne."

La vie de Sarah est chronométrée, "millimétrée". Associée dans un cabinet d'avocat prestigieux et machiste, elle a su bâtir une carrière solide après maints sacrifices : cela lui a coûté ses deux mariages. Sarah est une guerrière, et le tribunal, son arène. Cependant, derrière le masque, la culpabilité la ronge. Elle ne voit que très peu ses trois enfants. Le jour où elle a laissé son premier enfant âgé de 5 jours à une nourrice a été terrible pour elle. Pourtant, Sarah est heureuse : elle a une maison, une brillante carrière, des enfants. Seulement, après quelques malaises au travail, Sarah apprend qu'elle souffre d'une grave maladie. Sa vie bascule et sa brillante carrière est compromise.

Même si le style de Laëtitia Colombani reste simple et semble s'approcher de l'écriture du conte, le charme de La Tresse opère. Ces trois femmes se révèlent attachantes et émouvantes. L'autrice dénonce les injustices et les violences faites aux femmes, celles qui se voient ("Dans les villages, les femmes sont obligées d'attendre la tombée de la nuit pour aller dans les champs, s'exposant à de multiples agressions.") et celles qui ne se voient pas (la destitution d'une collègue de Sarah était "une violence sourde, invisible, une violence ordinaire que personne ne dénonçait."). Le poids des traditions, le système social pèsent énormément sur leurs vies. Et elles ont toutes choisi à un moment donné de redresser la tête et d'avancer, malgré les obstacles.

"Sa blessure ne se voyait pas, elle était invisible, quasi indécelable sous son maquillage parfait et ses tailleurs de grands couturiers."

Dans ce roman, les hommes proches de ces trois héroïnes sont des personnages très positifs (il faut le souligner !). Nagarajan, le mari de Smita, même s'il reste assez traditionaliste, "ne l'a jamais battue, jamais insultée" et accepte que sa fille aille à l'école. Ron, "Magic Ron", est celui qui garde les enfants et gère la maison de Sarah lorsqu'elle s'absente. Guilia tombe amoureuse d'un refugié de religion sikh, qui considère que la femme comme l'égal de l'homme. Ces trois hommes viennent en aide à nos trois personnages féminins.

Glissés entre quelques chapitres, des poèmes de l'autrice/ouvrière sur le travail du cheveu ajoutent du charme et de l'authenticité au récit. J'ai beaucoup apprécié ces petits apartés. Enfin, ce livre a le don de nous happer dans son intrigue grâce à ses amorces en fin de chapitre. On ne pense qu'à une chose : savoir ce qu'il va arriver à ces trois femmes étonnantes et puissantes.

En bref, oui, La Tresse mérite bien son succès. C'est un roman bouleversant, aux personnages attachants, au style clair et lissé. Trois femmes choisissent de prendre leurs destins en main malgré la discrimination, les traditions, la violence des hommes. Elles ont décidé de livrer bataille. Même si le récit contient quelques petits défauts des premiers romans (quelques clichés, style relativement simple), le charme opère et la fin est juste magnifique. Et mon avis n'est pas tiré par les cheveux, car La Tresse est en cours de traduction dans 16 langues, sera peut-être sélectionné pour le Prix Renaudot (d'après Europe 1) et son autrice pense même à l'adapter en film !


La Tresse, de Laëtitia Colombani, Grasset, 2017, 224 p., 18 €.





Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset pour cette excellente lecture.

A bientôt pour une prochaine chronique ^^




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