mercredi 21 mars 2018

"My Absolute Darling" de Gabriel Tallent

My absolute coup de cœur

"Elle ferme les yeux, des taches rouges et dorées fleurissent dans l'obscurité derrière ses paupières.
Elle pense, C'est moi. C'est moi. C'est ce que je suis, et c'est ici que je vis. Elle pense, Mon papa me déteste.
Puis, elle pense, Non, c'est injuste.
Elle s'endort en pensant à cela."



Présentation de l'éditeur


À quatorze ans, Turtle Alveston arpente les bois de la côte nord de la Californie avec un fusil et un pistolet pour seuls compagnons. Elle trouve refuge sur les plages et les îlots rocheux qu’elle parcourt sur des kilomètres. Mais si le monde extérieur s’ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familial est étroit et menaçant : Turtle a grandi seule, sous la coupe d’un père charismatique et abusif. Sa vie sociale est confinée au collège, et elle repousse quiconque essaye de percer sa carapace. Jusqu’au jour où elle rencontre Jacob, un lycéen blagueur qu’elle intrigue et fascine à la fois. Poussée par cette amitié naissante, Turtle décide alors d’échapper à son père et plonge dans une aventure sans retour où elle mettra en jeu sa liberté et sa survie.
My Absolute Darling a été le livre phénomène de l’année 2017 aux États-Unis. Ce roman inoubliable sur le combat d’une jeune fille pour devenir elle-même et sauver son âme marque la naissance d’un nouvel auteur au talent prodigieux.


Mon Avis 

Si vous aimez les livres qui vous bousculent, qui vous dérangent, qui vous frappent en plein cœur, alors peut-être avez-vous lu Sukkwan Island de David Vann. Une nature sauvage, des personnages charismatiques, une atmosphère malsaine, un twist incroyable en fin de première partie, une deuxième partie vraiment éprouvante. Bref, un roman qui a marqué votre vie de lecteur. Qui pourrait venir détrôner ce roman aussi noir qu'est Sukkwan Island ? C'est un premier roman : My Absolute Darling, écrit par un auteur américain âgé d'à peine 30 ans, Gabriel Tallent. Il le surpasse, et ce n'était pas chose aisée. 

"Cette nuit-là, Turtle attend sur sa planche en contreplaqué, dans le sac de couchage militaire et les couvertures en laine, elle écoute les rats grignoter les restes dans la vaisselle sale de la cuisine. Elle perçoit parfois le clac clac clac d'un rat qui se gratte le cou sur une pile d'assiettes. Elle entend aussi Martin arpenter les pièces. Accrochés à des clous au mur, son AR-10 Lewis Machine & Tool, son Noveske AR-15 et son fusil à pompe Remington calibre 12. (...) Ses vêtements sont soigneusement pliés sur les étagères, ses chaussettes rangées dans une vieille malle au pied du lit. Un jour, elle avait oublié de plier une couverture et il l'avait brûlée dans le jardin en disant : "Seuls les animaux saccagent leur habitat, Croquette, seuls les animaux saccagent leur putain d'habitat." (page 15)


Une nature sauvage, une région isolée, une forêt digne des sombres contes de fée, l'océan non loin de là. Turtle, une jeune fille de 14 ans, vit seule avec son père Martin dans une "maison" qui ressemble davantage à une cabane. Julia de son vrai nom, nommée "Croquette" par son père, Turtle vit dans la saleté, dans le désordre, parmi les rats qui dévorent la nuit les restes de son repas. Son père lui a appris tôt à se servir des armes. Elle sait manipuler les pistolets et les fusils. Elle a appris toutes les règles pour survivre dans un milieu hostile. Isolée, sans ami, rejetant la compagnie des femmes, elle s'enferme dans un monde bâti par son père, loin d'un monde qui court à sa perte, loin de cette société actuelle où tout n'est que bêtise, gâchis et destruction. "Mon amour absolu", voilà comment Martin nomme sa fille, si ce n'est parfois de "connasse", de "salope" ou encore de "petite moule illettrée". Martin aime sa fille d'un amour trop lourd, trop pesant, si bien qu'il en devient nocif et dangereux. Jusqu'à faire subir à sa fille de terribles sévices, qui nous laissent "sonnés".

"Turtle se répète les mots pauvre petite moule illettrée. Leur sens prend soudain forme dans son esprit comme quelque chose enfermé dans une boîte qui jaillirait brusquement. Il existe des parts d'elle qui demeurent sans nom, sans identification, puis il leur donne un nom, et elle perçoit alors clairement à travers ses mots, et elle se déteste. (...) Elle se déteste, elle déteste ce fossé mal
comblé et mal protégé." (page 28)

En effet, Gabriel Tallent ne nous épargne pas. Nous savons tout de l'oppression que subit quotidiennement Turtle, nous savons la moindre de ses pensées, si déstabilisantes soient-elles. Car Turtle est continuellement tiraillée entre l'amour qu'elle porte à son père et son besoin vital, viscéral, de partir, de fuir cet homme abusif, possessif, à l'esprit malade. Lorsque Turtle rentre chez elle, la tension est presque palpable. Nous sommes en effet dans un huis clos sombre et violent entre un père et sa fille. 

"Partir, fuir dans les bois reviendrait à ouvrir le barillet de la vie, à le faire tourner et à le refermer. Elle a promis à Martin, promis, et promis et promis encore. Il ne peut pas risquer de la perdre et, pense Turtle, ça n'arrivera pas." (page 38)

Turtle aime la nature, la solitude, elle éprouve ce désir de s'échapper, d'arpenter les bois, de s'ouvrir au monde. Mais l'emprise de son père sur elle est tellement forte, qu'elle n'ose pas le quitter. Elle en vient même à se dénigrer, à se détester.

Cependant, la vie de Turtle bascule lorsqu'elle croise le chemin de Jacob et de Brett, lycéens blagueurs vivant une vie tout à fait normale. Elle décide alors de se libérer de l'emprise de son père. La confrontation est imminente. Et on espère tant pour ce personnage attachant qu'est Turtle. On espère qu'elle s'en sortira. L'empathie pour cette jeune fille est immédiate. Vous avez dû lire/entendre partout cette phrase à propos de ce personnage, mais tant pis : non, c'est certain, vous n'oublierez pas Turtle de sitôt.

"Les garçons parlent d'une façon qu'elle trouve à la fois inquiétante et excitante - fantastique, légèrement jubilatoire et loufoque. Pour Turtle qui est si lente dans son élocution, avec son esprit circulaire et tourné vers l'intérieur, leur facilité d'expression orale est déconcertante. Elle se sent brillamment incluse dans cet univers qui l'attire, illuminée au plus profond d'elle-même par tant de possibles. (...) Un nouveau monde s'ouvre à elle." (page 94)

Que dire de Martin, ce père "survivaliste", érudit, possessif et violent ? Comme l'affirme Gabriel Tallent, il n'est pas présenté clairement comme un monstre. La violence qu'il exerce sur Turtle provient de son désir de la contrôler. Il s'agit d'un homme qui ne supporte pas que sa fille évolue et veuille prendre son indépendance. L'auteur a construit un personnage charismatique qui nous impressionne, qui nous terrorise. 

"— Tu deviens si grande, si forte. Mon amour absolu. Mon amour absolu.
— Oui.
— Rien qu'à moi ?
— Rien qu'à toi, dit-elle, et il presse le côté de son visage contre la hanche de Turtle,
il la serre contre lui avec urgence, il lève les yeux vers elle, les bras autour de ses reins.
— Promis ? demande-t-il.
— Promis.
— Personne d'autre ?
— Personne d'autre, dit-elle." (page 123)

Le style est déroutant - quoique l'on s'y fait très rapidement -, l'atmosphère est mortifère, les thèmes sont durs, certains passages, éprouvants. Toutefois, My Absolute Darling est "le combat d'une jeune fille pour préserver son âme" qui se retrouve seule face à son père écrasant et monstrueux. C'est un roman magistral entre amour et haine qui résonne longtemps en nous.

En bref, My Absolute Darling est un coup de poing magistral. Déroutant, dérangeant, à l'atmosphère lugubre, ce roman nous confronte à la douleur physique et intérieure d'une jeune fille attachante. Elle mène un dur combat pour sa liberté, pour son indépendance, et surtout pour se sentir vivante. Poussée par l'amitié qu'elle éprouve pour Jacob, elle décide de s'échapper de la "prison" dans laquelle l'a enfermée son père. La confrontation est imminente. Et on espère, on espère pour Turtle. Irrémédiablement, si vous décidez de lire ce premier roman, Turtle restera longtemps dans votre mémoire. Magistral. Redoutable. Inoubliable.
Notons enfin l'excellent travail de Laura Derajinski, traductrice notamment de... David Vann.

Un grand merci aux éditions Gallmeister !



My Absolute Darling, Gabriel Tallent, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laura Derajinski, Gallmeister, mars 2018, 453 pages, 24,40 €, format Kindle : 16,99 €.

Lire les premières lignes de My Absolute Darling ? C'est ici !


Bonus : l'interview de Gabriel Tallent par François Busnel dans l'émission "La Grande Librairie"






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A bientôt ^^





2 commentaires:

  1. Dur, parfois insoutenable, mais également magnifique, "My Absolute Darling" est un roman fort et poignant qui marque l’entrée en littérature d’un auteur novice mais pétri de talent.

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  2. Je l'ai enfin, je survole donc ta chronique et reviendrai lorsque je l'aurai lu :-)

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