dimanche 11 mars 2018

Premières lignes #29 : "Bénis soient les enfants et les bêtes" de Glendon Swarthout

Ce rendez-vous hebdomadaire a été créé par Ma Lecturothèque.

Le principe est simple : il s’agit de présenter chaque semaine l’incipit d’un roman.

Ce rendez-vous est très intéressant car il nous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.

On choisit le livre que l'on veut : un coup de cœur, une lecture actuelle, un livre de sa PAL, un emprunt à la bibliothèque...


Aujourd'hui, je vous propose de découvrir les premières lignes de Bénis soient les enfants et les bêtes de Glendon Swarthout, qui sera l'une de mes prochaines lectures. Cette histoire de ces six adolescents dans un camp de vacances m'intrigue beaucoup. Bonne lecture !




Ils sont six adolescents à s’être rencontrés dans ce camp de vacances en plein coeur de l’Arizona. Leurs riches parents ne savaient pas quoi faire d’eux cet été-là, et ils ont décidé d’endurcir leurs rejetons en les envoyant au grand air pour qu’ils deviennent de “vrais cow-boys”. Au sein du camp, ces enfants se sont trouvés, unis par le fait que personne ne voulait rien avoir à faire avec eux. Cette nuit-là, alors que tout le monde est endormi, ils ont une mission à accomplir, un acte de bravoure qui prouvera au monde entier qu’ils valent quelque chose. Et ils iront jusqu’au bout de leur projet, quel que soit le prix à payer.





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A cet endroit le vent dominait. Le bruit était permanent. La gorge du canyon grondait sous les rafales du vent qui balayait les pins sur son passage, avant d'être recueilli par les rochers. Ici, un phénomène étrange se produisait parmi les pins. Alors que le vent expirait dans un cul-de-sac du canyon et que, dans son sillage, l'air devenait calme et immobile, les arbres continuaient de bouger. Ils frémissaient encore sous l'effet des rafales disparues, le murmure du deuil. Ils étaient tristes. Ils semblaient pleurer le souvenir du vent.
      Cotton rêvait.
      Ils étaient six à attendre au petit matin, parqués dans une sorte d'enclos entouré de gros poteaux et de planches solides, se serrant les uns contre les autres, non parce qu'ils avaient peur, mais parce que, peu habitués à être enfermés, ils étaient nerveux et qu'ainsi regroupés ils communiquaient par leur odeur. Ils se reniflaient mutuellement. A travers leurs narines dilatées, ils respiraient la chaleur animale de leur excitation. 
     Puis, des hommes arrivèrent. Des hommes à cheval. Une barrière fut ouverte. Tandis qu'on leur criait dessus, ils tentèrent de se ruer en bloc vers l'extérieur, mais la barrière se referma d'un coup après les trois premiers : Teft, Shecker et Lally I étaient passés. Les autres attendirent. Bientôt l'air fut déchiré par des coups de fusil. Les trois qui étaient restés s'effrayèrent. Ils tournaient en rond, faisant ployer les planches, trembler les poteaux, sans peur mais plus excités que jamais puisqu'ils ne pouvaient identifier le bruit qui résonnait à leurs oreilles. Le silence rétabli, ils attendirent de nouveau.
      Les cavaliers revinrent. La barrière fut ouverte et les trois derniers, Cotton, Goodenow et Lally II, conduits le long d'une piste clôturée de fil de fer. C'était bon d'être relâchés et libres dans l'air pur du matin. Mais tandis qu'ils s'étaient arrêtés pour boire l'eau d'un étang, les cavaliers les rudoyèrent pour qu'ils avancent, agitant leurs chapeaux et jetant des cris.
      Arrivés dans un champ à ciel ouvert, ils se figèrent. A cent mètres, des véhicules alignés leur faisaient face. Et devant ces véhicules se tenait une rangée d'hommes. Teft, Shecker et Lally I, relâchés un peu plus tôt, n'étaient nulle part en vue. Cela les intrigua, tout comme le coup de fusil et le fait de voir Goodenow s'affaisser, pliant d'abord les genoux, puis tombant sur son derrière pour s'écrouler enfin lourdement sur le côté. Il ne bougeait plus. Cotton et Lally II reniflèrent l'étrange odeur qui émanait de son corps.
      A la détonation suivante, Lally II fit un bond et retomba, les membres raides. Aux autres coups de feu qui lui déchirèrent les oreilles, il secoua la tête et s'écroula, inerte, sur le sol, les yeux vitreux, tandis que ses membres se pliaient et se dépliaient convulsivement, et qu'un flot rouge brillant coulait de sa bouche et de son nez. Cotton renifla le sang. Cette odeur-là, il la connaissait.
      Brusquement, il s'élança à toute vitesse, courant par-ci pour finalement faire demi-tour devant les véhicules, courant par-là pour être aussitôt cerné par les cavaliers. Avec un grognement sourd, il chercha une autre direction, se cognant la tête contre la clôture de fil métallique avant de tomber sur son séant. D'un bond il se remit debout, furieux devant l'obstacle d'acier qui aurait dû lui céder le passage. 
      Fou de rage, il s'immobilisa. Omnipotent, fixant d'un regard noir la rangée d'hommes, il concentra son attention sur la gueule d'un fusil, remonta lentement le long du canon et s'arrêta sur le visage en partie masqué de la femme assise sur une toile goudronnée qui le visait. Elle fit feu. Il l'avait reconnue. Cette révélation, d'une fraction de seconde, lui brisa le cœur juste avant que la balle ne brûlât sa cervelle. C'était le visage de sa mère.
      Cotton se réveilla en criant.
     Son front, les paumes de ses mains, la face interne de ses cuisses étaient ruisselants de sueur. Il se dégoûtait lui-même. Il avait quinze ans, il était l'aîné, trop âgé pour se laisser aller à de mauvais rêves.


Bénis soient les enfants et les bêtes (Bless the Beasts and Children), Glendon Swarthout, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Gisèle Bernier, collection Totem n°73, Gallmeister, février 2017, 173 pages, 8,70 €, format Kindle : 7,99 €.

Je vous souhaite un très bon dimanche.

A demain ^^








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