vendredi 9 mars 2018

"Vendetta" de R.J. Ellory

Au cœur de la mafia américaine

"Mon esprit était hanté par les ténèbres,
et où que je pose les yeux, tout n'était que ténèbres."



Présentation de l'éditeur

2006, La Nouvelle-Orléans. Catherine, la fille du gouverneur de Louisiane est enlevée, son garde du corps assassiné. Confiée au FBI, l'enquête prend vite un tour imprévu : le kidnappeur, Ernesto Perez, se livre aux autorités et demande à s'entretenir avec Ray Hartmann, un obscur fonctionnaire qui travaille à Washington dans une unité de lutte contre le crime organisé. À cette condition seulement il permettra aux enquêteurs de retrouver la jeune fille saine et sauve. À sa grande surprise, Hartmann est donc appelé sur les lieux. C'est le début d'une longue confrontation entre les deux hommes, au cours de laquelle Perez va peu à peu retracer son itinéraire, l'incroyable récit d'une vie de tueur à gages au service de la mafia, un demi-siècle de la face cachée de l'Amérique, de Las Vegas à Chicago, depuis Castro et Kennedy jusqu'à nos jours. Quel est le véritable enjeu de cette confrontation ? Pourquoi Perez a-t-il souhaité qu'Hartmann soit son interlocuteur ? Alors que s'engage une course contre la montre pour retrouver Catherine et que, dans l'ombre, la mafia et les autorités s'inquiètent du dialogue qui s'établit entre les deux hommes, Hartmann ira de surprise en surprise jusqu'à l'étonnant coup de théâtre final.


Mon Avis


Début du XXIe siècle, dans la ville suffocante de La Nouvelle-Orléans. Un cadavre est retrouvé atrocement mutilé dans une voiture de luxe. Son meurtrier lui a arraché le cœur et a marqué sur son dos la constellation des Gémeaux. Ces indices parlent au médecin légiste : pour lui, il s'agit d'une exécution dans les règles de l'art de la mafia. John Verlaine, inspecteur taciturne et solitaire, est chargé de l'affaire. On apprend rapidement que la victime était le garde du corps de Catherine Ducane, la fille du gouverneur de la Louisiane, qui a été enlevée. L'affaire revient donc au FBI. Des appels mystérieux se succèdent au central. Un homme, Ernesto Perez, se proclamant le meurtrier du garde du corps et le kidnappeur de la jeune fille, se rendra et s'expliquera à une condition : il veut parler en personne à un certain Ray Hartmann. Ce dernier revient donc de force sur sa terre natale. Ernesto Perez se livre à lui et lui raconte sa vie d'homme de main de la mafia, de La Nouvelle-Orléans à Chicago, en passant par Cuba. Mais quel est le but de Perez ? Pourquoi s'adresse-t-il qu'à Hartmann ? Où est Catherine Ducane ? Est-elle encore en vie ?

"Cet homme qui disait s'appeler Ernesto Perez était apparu sans tambour ni trompette, sans escorte armée, sans sirènes hurlantes (...). Il s'était présenté calmement et poliment, et avait pourtant réussi à attirer l'attention de tous les hommes présents grâce à son charisme et à sa présence indubitables." (page 137)


Après Un Cœur sombre, Papillon de nuit et Seul le silence, il me tardait de retrouver le style sublime de R.J. Ellory, ses récits fascinants toujours entremêlés de faits historiques de l'Amérique. Dans Vendetta, l'écrivain britannique nous raconte un demi-siècle d'histoire de la mafia américaine. La Nouvelle-Orléans, Las Vegas, New York, Chicago, et même à Cuba, le lecteur voyage dans les codes et les couloirs sombres de la Cosa nostra, là où on règle ses comptes entre clans, là où le meurtre est toujours accompli froidement, sans émotion, comme une tache on ne peut plus ordinaire. Les chapitres alternent entre monologues d'Ernesto Perez et investigations de Hartmann.


Il faut avouer que les premiers chapitres sont déconcertants. Nous suivons pendant plusieurs pages John Verlaine, un enquêteur peu loquace et solitaire, puis brutalement l'affaire lui est retirée, et nous cessons donc de le suivre. Deux personnages du FBI reprennent le dossier et lorsqu'on pense les accompagner tout au long du roman, un autre policier prend le relais. Les personnages secondaires se succèdent, et on se sent un peu perturbés, un peu "balancés" entre les protagonistes. C'est quelque chose de relativement nouveau, et ce procédé est particulièrement désarçonnant mais intéressant. Enfin, dès qu'Ernesto Perez fait son apparition, il efface pour ainsi dire les personnages secondaires du début. Imposant, charismatique, ce sexagénaire réussit, sans violence, à faire plier les agents du FBI. Dès qu'il se retrouve seul face à Hartmann, et qu'il commence son récit édifiant de petit assassin à tueur à gages pour la mafia, nous savons que l'on va passer à une autre dimension du roman, beaucoup plus sombre.

"Complexe et presque indéchiffrable, incestueuse et népotique, la mafia était une hydre qui avait survécu à toutes les tentatives d'éradication. Elle n'avait pas d'existence tangible. C'était un spectre, une série d'ombres interconnectées et pourtant séparées. Si vous la saisissiez par un bout, elle vous échappait irrévocablement des mains par l'autre." (page 114)

Vendetta est une fois de plus un roman noir remarquable, abouti de manière un peu plus classique que Seul le silence. L'auteur exploite pour notre plus grand plaisir, le thème du mal et de ses origines. Qu'est-ce qui a fait d'Ernesto Perez un assassin ? Comment devient-on un meurtrier ? Encore une fois, comme dans Seul le silence, nous nous interrogeons sur la nature humaine et ses côtés les plus sombres. A travers l'histoire de Perez, nous assistons au début de son récit, à la naissance d'un tueur. 

"Ma vie était une suite de cahots et de paragraphes hésitants, elle provenait des tréfonds du cœur où l'amour et la douleur partageaient le même lit. Me comprendre, à la fois en tant qu'enfant et en tant qu'homme, c'est comprendre des choses sur soi-même auxquelles on ne peut supporter de faire face. (...) Nous avons tous nos côtés sombres ; nous sommes tous capables d'actes inhumains et dégradants ; nous avons tous dans les yeux une lumière sombre qui, lorsqu'elle s'allume, peut inciter au meurtre, à la trahison, à l'infidélité, à la haine. Nous avons tous arpenté les bords de l'abîme et, bien que certains d'entre nous aient perdu l'équilibre, rares sont ceux qui - vitaux et nécessaires - dans ses ténèbres." (page 154).

L'Histoire américaine est bien entendu liée à l'intrigue, elle fait même partie intégrante du récit. Nous y croisons les noms de personnages les plus connus, issus de la mafia, à l'instar d'Al Capone, Joseph Valachi, Salvatore Maranzano, Lucky Luciano, Sam Giancana. Toujours du point de vue de Perez, nous traversons les époques et les événements majeurs de l'histoire américaine, comme par exemple la mort de Kennedy. Le récit nous offre même également quelques révélations surprenantes sur la mort restée inexpliquée du mafieux Jimmy Hoffa.

J'ai noté un élément intéressant sur la représentation de la mort dans Vendetta et dans Seul le silence. Ces images de la mort, qui attend, qui guette à la fenêtre (comme le décrivent les premières pages de Seul le silence), sont le reflet d'un fort pressentiment de la part du personnage. La mort est toujours représentée sous la forme d'une ombre qui guette celui qu'elle vient chercher, comme dans ce passage :

"En descendant le matin à la table du petit déjeuner, j'ai perçu dans la pièce une présence que je n'avais jamais perçue auparavant. C'était la présence de la mort. La mort s'accompagne d'une ombre. Elle attend, elle s'attarde un moment, puis elle prend soudain ce qu'elle est venue chercher, le plus souvent en silence, sans rien laisser derrière elle." (page 321)

Enfin, Vendetta, c'est aussi l'importance de la famille. D'abord, l'amour inconditionnel de Perez pour sa mère défunte. Il y a bien entendu la famille de la mafia, avec ses codes, ses liens avec la politique, ses "arrangements" en bonne et due forme, mais aussi ses trahisons. Puis, il y a aussi cette étape dans la vie de Perez, cette envie primitive de construire sa propre famille. Au fil du récit de ce tueur, on ne peut pas s'empêcher d'éprouver un attachement envers ce personnage charismatique, cruel, glacial et intelligent.

En bref, Vendetta est un excellent roman noir à l'état pur, oppressant, prenant, d'une noirceur poisseuse et sanglante. Encore une fois, armé d'un style d'écriture absolument remarquable, R.J. Ellory mêle à la fois fiction et histoire américaine d'une manière pertinente. A travers le personnage d'Ernesto Perez, un tueur à gages énigmatique, cruel et froid, nous sommes face à la réalité de la mafia, celle qu'elle était et celle qu'elle est aujourd'hui, insaisissable comme un spectre. C'est un roman fascinant sur l'identité, la loyauté, la famille et la vengeance. Encore une très belle réussite de mon écrivain britannique favori. Je m'en vais lire d'ailleurs un autre de ses romans, Les Anonymes.




Vendetta (A Quiet Vendetta), R.J. Ellory, traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau, Sonatine, juin 2009, 656 pages, 23 €.
Existe en édition poche : Le Livre de Poche, octobre 2010, 768 pages, 8,60 €.

Bonus : Vidéo de theoverlookpress (en anglais) :




A bientôt ^^







1 commentaire:

  1. Eh bien, vu ce que tu en dis, ce sera mon prochain alors ! (Si je le lis avant la sortie du nouveau, MDR ! Car je dois dire que je croule sous les livres et que mes plans sont souvent déjoués... il faut rester réaliste quand même). Mais dans tous les cas, tu me donnes très envie !

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