mardi 28 novembre 2017

"Victor Hugo vient de mourir" de Judith Perrignon

Le trépas d'un Immortel

"C'est ici le combat du jour et de la nuit"



Présentation de l'éditeur :

Vibrez de la ferveur et de la fureur de Paris,
vivez les funérailles de l'Immortel.
Le poète vient de rendre son dernier souffle et, déjà, la nouvelle court les rues, entre dans les boutiques, les ateliers, les bureaux. Paris est pris de fièvre. Chacun veut rendre un dernier hommage et participer aux obsèques nationales qui mèneront l'Immortel au Panthéon. Deux millions de personnes se presseront sur le parcours du corbillard en ce jour de funérailles intense et inoubliable.
D'un événement historique et en tout point exceptionnel naît un texte intime et épique où tout est vrai, tout est roman.


Mon Avis 

Après avoir terminé de lire la biographie de Max Gallo sur Victor Hugo (ma chronique), j'ai trouvé judicieux de commencer directement par le court roman de l'écrivain et journaliste Judith Perrignon.

Le roman commence quelques jours avant la mort de Victor Hugo. Cinq cents personnes se sont assemblées devant son hôtel particulier, "La Princesse de Lusignan", situé au 50 avenue Victor-Hugo. Elles ont su par la presse que ces derniers jours ont été difficiles pour le poète : crises d'agitation dans lesquelles "les souffles sont des râles", syncope, malgré quelques sursauts qui auraient pu faire croire qu'il est en bonne santé. Mais le 22 mai 1885 à treize heures et vingt-sept minutes précises, alors que la foule s'amasse devant chez lui, l'Immortel rend son dernier souffle. Tous savent alors que le fils du siècle s'en est allé et qu'une page se tourne.


"Peuple et gouvernement s'unissent dans une même attente. Seules les guerres et les catastrophes ont cet effet. Bien sûr il est vieux et la vie n'a jamais rien promis d'autre que de s'en aller. La sienne a duré longtemps, quatre-vingt-trois ans, mais si longtemps, si intense, si vibrante, si enroulée sur son temps, son siècle, ce dix-neuvième qui a cru au progrès mécanique de l'Histoire, qu'on dirait qu'un astre va s'éteindre dans le ciel. La foule pressent le vide. Elle voudrait laisser planer encore la présence du poète, sa voix par-dessus et entre les hommes. Le poète a charge d'âmes. C'est lui qui l'a dit, et quelque chose d'électrique dans l'air montre qu'il y est parvenu." (page 11)

La journaliste Judith Perrignon s'appuie sur les rapports de la préfecture de Paris, qui rend compte chaque jour de l'état de santé du poète, puis sur les articles de journaux de l'époque. Alors que Max Gallo nous laissait avec les pleurs de Jeanne et Georges, les petits-enfants de Victor Hugo, et ses toutes dernières paroles, Judith Perrignon raconte à la fois son agonie, sa mort, mais surtout les jours qui la suivent. "Soyez heureux, pensez à moi, aimez-moi" furent ses derniers mots. 

On retrouve un personnage récurrent de la biographie de Max Gallo, Edouard Lockroy, celui qui a épousé la belle-fille de Victor Hugo. C'est lui qui fait en sorte que les dernières volontés du poète soient respectées. Pourtant, dans Victor Hugo de Max Gallo, l'entente entre le vieux poète et le ministre Edouard Lockroy n'était pas au beau fixe. En effet, ce dernier pense qu'il a prit la place du fils et que le poète ne le lui a jamais pardonné. 


"Paris est un corps fiévreux tandis que le poète lutte contre l'attraction de la terre. On dirait qu'en mourant, qu'en glissant dans l'abîme, il creuse un grand trou et y aspire son temps, sa ville. Comme dans ses livres. Danger les Misérables, le peuple de Paris." (page 20)

Républicains, socialistes, catholiques, anarchistes, tous "veulent prendre ce ventre, tirer le cadavre de leur côté. Mort, cet homme-là parlera encore". Judith Perrignon parle de ces Communards qui renferment en eux des rancœurs persistantes envers Victor Hugo. Mais le grand homme est une figure marquante de leur époque. Ils sont en désaccord avec ses idéaux. Cependant, ils ne peuvent le nier, Hugo est le porte-parole des Misérables, de ceux qui souffrent de la pauvreté et qui n'ont pas de "voix" pour se faire entendre.

Puis, il y a ce personnage massif de la foule, celle qui s'agglutine devant l'hôtel particulier de Victor Hugo. Elle sait pertinemment ce que la mort de Victor Hugo signifie. C'est la disparition d'une légende, d'une légende de leur siècle.


"Et c'est marée montante devant la maison du poète. La foule est de plus en plus considérable. Depuis des jours, elle a vécu suspendue au récit de son agonie, depuis des années au son de sa voix. (...) Elle fait du sentiment, pas de politique, elle n'est qu'instinct, protéiforme, elle sait qu'il était l'homme des grandes espérances. Elle sait l'essentiel." (page 28)

Judith Perrignon tient néanmoins un propos appuyé sur la politique de l'époque. Tous les partis veulent "récupérer" la mort de Victor Hugo. La "récupération", un terme tellement actuel dans notre époque. La République de 1885 est fragile. Dans le passé, le poète assista à maintes émeutes dans tout Paris. Le cortège funèbre peut donc être fortement perturbé par les Communards ou les monarchistes. L'enjeu est là pour Lockroy et les Républicains : maintenir l'ordre afin qu'il n'y ait pas d'incident. Et la foule grandit. La République n'est pas rassurée. 

Enfin, l'auteure à la fin du roman, expose à son lecteur son sentiment vis-à-vis des derniers mots de Victor Hugo : "Aimez-moi". Je pense qu'elle tient ici des mots très justes : "Il ne parlait pas qu'à ses petits-enfants, mais à tous ceux qui restaient, qu'ils soient dedans, dehors, ou même pas encore nés. Il s'infiltrait dans l'avenir, nos têtes, nos cœurs, nos corps, quitte à nous laisser désemparés, un peu idiots, perdus face aux extrémités du monde." Il nous manque un Victor Hugo aujourd'hui. A mes yeux, personne ne l'égale. Aujourd'hui, à notre époque, qui fait office de figure de légende, comme Victor Hugo ? Qui est capable comme lui de s'offusquer contre un régime, de dénoncer les inégalités sociales, de parler au nom de ceux qui n'ont pas de voix ? 

En bref, Victor Hugo vient de mourir est un roman extrêmement bien documenté, qui nous fait vivre l'agonie du grand poète, entouré de ses amis et de ses petits-enfants. Judith Perrignon insiste sur cette foule de plus en plus dense qui s'amasse devant son hôtel particulier à l'annonce de sa mort. Ensuite, le roman prend une tournure politique, en suivant tour à tour des Communards, des monarchistes et des Républicains qui veulent récupérer la mort du poète ou troubler le cortège. Nous assistons aux obsèques nationales, avec un cortège composé de deux millions de personnes. La réflexion personnelle de l'auteure à la fin du livre rapproche le contexte du XIXe siècle avec notre propre époque. Même si la politique est peut-être un peu trop présente dans ce roman, le ton éloquent, presque théâtral finit de le rendre passionnant.

Victor Hugo vient de mourir, Judith Perrignon, Pocket, 165 pages, janvier 2017, 5,95 €.

Bonus : pour lire les premières lignes de ce récit, cliquez ici !

A bientôt pour une prochaine chronique ^^




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